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Doit on avoir peur de l'I.A. ?


L'année 2022 a définitivement été marquée par l'avènement des images générées par les Intelligences artificielles. Si au début les premiers rendus ressemblaient surtout à des expérimentations un peu ratées, désormais certains modèles et algorithmes sont capables de générer des images dont il est parfois impossible de dire la différence avec une œuvre qui aurait été créée par un humain.


Certains y voient l'arrivée d’outils plus performants qui permettront de rendre les artistes encore meilleurs, au même titre qu’un nouvel effet numérique dans une mise à jour de Photoshop. D’autres y voient une menace directe. A la fin de l'année 2022 vous n’avez pas pu passer à côté du mouvement de masse sur Artstation ou de nombreux artistes ont décidé de poster “No To A.I.” pour s’opposer fermement à la diffusion d’images générées par des intelligences artificielles sur ces plateformes de partage d’artistes.


En dehors du domaine des images numériques, les I.A. sont aussi capables de générer du texte, des musiques et bientôt pourquoi pas des vidéos. Alors que penser de cette révolution technologique? Les artistes doivent-ils vraiment craindre le développement des I.A? Mais comment une I.A. peut-elle créer de l’art?

Certains expliquent que l’Intelligence artificielle à proprement parler n’existe pas vraiment et préfèrent insister sur la notion de deep learning. C’est à dire qu’avec la puissance de calcul exponentielle des machines, elles sont désormais capables d’analyser et décortiquer des millions d’images, de textes et de musiques disponibles dans nos banques de données (issues d’Internet) pour déterminer des associations de mots clés avec des contenus existants, en analysant les formes, compositions et couleurs des images. A l’heure actuelle, il existe un code de base open source que vous pouvez "entraîner", c'est-à-dire que vous pourrez donner au modèle existant une banque de données spécifique à analyser en particulier. Le meilleur exemple est celui du deepfake. Vous entraînez l’I.A. à reconnaître les visages de deux personnes différentes et elle sera alors parfaitement capable de remplacer le visage de l’une par l’autre dans une vidéo. Une méthode de plus en plus utilisée à Hollywood pour rajeunir le visage des acteurs par exemple.

Pour ce qui est de la création d’images, de manière concrète, vous pouvez donc utiliser une interface dans laquelle vous allez taper un prompt en anglais, c'est-à-dire une requête ou vous pourrez décrire le plus précisément possible ce que vous voudriez voir dans votre image et l’I.A. se chargera de piocher dans l'immensité des données disponibles pour proposer des itérations de visuels correspondants le plus possible, selon elle, à votre description. Et c’est vraiment parfois très surprenant, car en définitive les images proposées par l’I.A. sont créées de toutes pièces pour correspondre à la requête.

Voici un exemple que j’ai généré sur Midjourney avec ce prompt:

the portrait of a cat, wearing a ruff around his neck in the style of a dutch painting in the 17th century. The cat is an aristocrat.



Puisque l’image en question est générée par la machine et pas par un humain, peut-on alors parler d’Art?


Cette année a été marquée par la première polémique autour d’une œuvre générée par une I.A. à avoir remporté un premier prix dans un concours d’Art. Il s’agit de cette image “Theatre d’Opéra Spatial” generée par Jason Allen via Midjourney.

Il a remporté le ruban bleu, c'est-à- dire le premier prix dans la catégorie numérique de la Colorado state fair aux États-Unis. De nombreux internautes ont crié au scandale, à la mort de l’art et demandé que le prix lui soit retiré car il aurait triché. Sauf que lorsque l'œuvre a été soumise, le jury savait parfaitement qu'elle était générée par une I.A. et confirme qu’ils ont sciemment souhaité lui attribuer le premier prix. Lors d’une interview, Jason Allen aurait déclaré: "ça ne va pas s'arrêter, l’art est mort. L’I.A. a gagné, l’homme a perdu.” en précisant qu’il ne faut pas blâmer une technologie sur les sujets éthiques. L'éthique se trouve entre les mains des humains et c’est l’usage qui en sera fait qu’il faudra maîtriser.


Mais alors, est-ce que le simple fait d'être l’auteur d’une prompt sur l’interface d’une I.A. suffit à faire de n’importe qui un artiste digne des plus grands maîtres?

Il faut se demander ce qu’est un artiste. Un artiste est une personne qui ressent une envie, un besoin de communiquer une idée, une vision et des émotions à l'aide de propositions esthétiques qui seront soit expérimentales ou au contraires ancrées dans des codes de créations plus académiques. J’entend par académique le fait de maîtriser un style, de savoir utiliser des connaissances et des techniques accumulées au fil des siècles, comme l’anatomie pour reproduire des figures parfaitement proportionnées, sans parler des techniques physiques, comme l’utilisation adéquate d’une peinture à l'huile, des mélanges en aquarelle et de la maîtrise des couteaux pour tailler le bois ou le marbre en sculpture. Les figures de style en littérature et les innombrables procédés de composition en musique. Toute la connaissance et la mémoire collective de nos cultures via l’histoire de l’art nous permettent de définir au quotidien ce qu’est l’art, ses codes et comment l’apprendre. Toutes ces connaissances peuvent certainement être apprises par des machines. Mais le Graal suprême de l’artiste accomplie est de trouver le moyen de s’en émanciper par la voie expérimentale et de transcender toutes les formes précédentes pour maintenir le mouvement perpétuel de la création. On pense aux révolutions de l’impressionnisme et du cubisme par exemple, pour ne citer que les mouvements les plus connus dans notre histoire récente.


Alors est-ce que l’I.A. ressent ce besoin de communiquer une émotion? L’I.A. n’est pas encore capable de générer de manière spontanée ses propres contenus avec l’ambition personnelle de vouloir offrir ses émotions les plus intimes à l'humanité. En définitive, elle a toujours besoin d’une prompt, une requête pensée par un humain. Et peut-elle réellement innover et créer de nouvelles formes d’arts ou sera-t-elle toujours limitée à celles créées par l’homme disponibles dans sa banque de données? Est-elle capable de transcendance et d'émancipation? Est-elle même capable d’abstraction?


Le problème serait-il donc résolu si on part du principe qu’une I.A. ne peut pas être un artiste par définition? Puisqu’elle n’est pas dotée de son libre arbitre et de sa volonté propre et se contente de produire ce que les humains lui demandent, finalement un peu comme un super moteur de recherche?


Mais il se pose le problème de la propriété intellectuelle. Effectivement, quand l’I.A. est entraînée à reproduire des images, elle analyse et emmagasine également des images d’artistes, morts ou encore vivants, des visages et des photographies de personnes existantes, des images promotionnelles appartenant à des marques ou des musiques appartenant a des maisons de disques. Par exemple, si vous demandez à l'I.A. de produire une image dans le style de Monet, elle sera capable de créer une image inédite, que Monet lui-même aurait pu peindre. Mais alors, s’agit-il de la propriété intellectuelle de l’artiste original? Ai-je le droit d’utiliser cette image en prétendant qu’elle m’appartient? Ou s’agit-il de la propriété intellectuelle des auteurs de l'algorithme car c’est grâce à leur code que l’image a pu être générée? Ou bien encore de la personne qui rédige la requête? Est-ce valide si vous citez explicitement le nom d’un autre artiste dans votre requête?


Toutes ces questions sont passionnantes. Récemment, après la mort de l’artiste coréen Kim Jung Gi, quelqu’un a entraîné une I.A. exclusivement avec l'œuvre de cet artiste et elle est désormais capable de générer de nouvelles images qui ressemblent à s'y méprendre aux œuvres originales de Kim Jung Gi comme s’il eût été ressuscité. Une démarche qui a été très mal accueillie par le public.


Images générées par une I.A. dans le style de Kim Jung Gi.

Et c’est derrière ces considérations de copyrights que la majorité des artistes sur Artstation ont décidé de se lever contre l’I.A. en postant “No to A.I.”


Pour conclure, je comprends l'inquiétude grimpante vis-à-vis de ces technologies. Mais si vous êtes un véritable artiste dans l'âme, je ne pense pas que cela devienne un problème. Au contraire, L’I.A. peut même devenir un outil pour produire plus vite. Imaginez simplement décrire ce qui vous passe par la tête et le voir se concrétiser sous vos yeux en quelques secondes? Et si vous faisiez une curation très spécifique de vos propres œuvres, et de vos inspirations que vous seuls savez dégoter pour entraîner votre I.A. dans un sens esthétique très spécifique et s’assurer de continuer à produire des visuels uniques? Vous resterez la personne en charge, qui corrige, qui sélectionne et approuve ou non les visuels proposés pour s’assurer de pouvoir offrir votre vision comme seule fin. En tout cas, ça serait une théorie optimiste.


Selon moi, ceux qui ont le plus peur de l’I.A. sont ceux qui savent au fond qu'ils ne valent pas mieux qu’elle. Je pense à tous ceux qui reproduisent des styles et des genres vus et revus en suivant les modes, ceux qui font des fan art sans avoir leur univers propre, ceux qui avant même l'arrivée de l’I.A. cherchent leur inspiration sur Pinterest et dans le travail des autres en étant toujours sur le fil du rasoir entre plagiat et inspiration assumée. Ceux qui font des œuvres de commande ou répondent à des commissions comme on enverrait un prompt a l’I.A. justement en imitant des styles définis par les clients. Beaucoup d’artistes talentueux sont pris dans ce jeu car il représente une source de revenu non négligeable. Pour le coup l’I.A. va définitivement rebattre les cartes et couper l’herbe sous le pied de ceux qui n’ont rien de mieux à proposer.

Seuls les artistes qui auront vraiment quelque chose de nouveau à proposer pourront percer, mais comme cela a toujours été le cas finalement à chaque époque. Une autre catégorie de personnes qui doivent s'inquiéter de l’I.A. sont les graphistes, les techniciens numériques, ceux qui accomplissent des tâches exécutives sous les ordres d’autres artistes ou de chefs de projets. Je pense aussi à tous les concepts artists sur des productions de films ou de jeux vidéo. La seule chose qui pourra nous sauver est de développer des compétences profondément humaines et probablement que nous verrons un regain de l'attachement aux œuvres physiques en opposition au numérique.


Alors dans le fond oui j’ai peur. Mais je n’ai pas peur de l’I.A. J’ai simplement peur car la voie pour devenir un réel artiste est définitivement devenue de plus en plus ténue. J'ai peur comme Baudelaire avait peur pour les peintres quand la photographie fut inventée. J'ai peur car je sais que c'est profondément plus difficile qu'on ne le croit de vraiment être un artiste et de réaliser que l'I.A. va recaler une grosse partie d'entre nous au rang d'artisan avec qui elle entrera dans une compétition déloyale.


Alors il est temps de développer sa créativité, son style et d'aller chercher l'inspiration loin des machines.


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